C’est la période des listes, celle des meilleurs films ou celle des meilleurs livres de l’année 2015… Même les radios demandent à leurs auditeurs de choisir leurs chansons préférées, pour un top 100 de l’année ou un top 1000 “de tous les temps”. Le top 1000 est une source de nostalgie (“qu’est-ce que je faisais il y a 40 ans quand cette chanson cartonnait?”) et d’inspiration car, pour un économiste, il est tentant de chercher un lien entre un morceau et des sujets économiques (le faire avec le titre d’un film est un autre de ses passe-temps favoris). Le fait est qu’il est difficile ou ennuyeux de se faire expliquer l’économie, voire les deux à la fois. La référence à des chansons peut rendre les sujets plus accessibles ou, du moins, plus amusants.

Encore faut-il bien choisir. D’un côté, on trouve de bons titres mais avec des paroles qui n’ont rien à voir avec le sujet en question. De l’autre, on trouve des chansons qui parlent d’économie, comme l’album Wrecking Ball de Bruce Springsteen. Ceux qui ont à peu près mon âge se souviendront peut-être de The Wall Street Shuffle de 10CC sorti en 1974 lorsque j’étais au collège. Je n’ai pas réalisé à l’époque que les paroles « il faut un yen pour un mark » parlaient du taux de change flottant de l’ère post Bretton Woods, ni que je passerais ma vie à analyser ces sujets.

Entre ces extrêmes, on trouve des chansons dont le titre colle parfaitement et dont l’histoire peut servir de métaphore. Voici ma sélection (en découvrant les titres, vous verrez que je n’écoute pas beaucoup les nouveaux courants musicaux) :

A la troisième place : Paradise by the Dashboard Light de Meatloaf. Cette chanson, sortie en 1977, parle d’un garçon et d’une fille dans une voiture. La fille demande au garçon de s’engager avant « d’aller plus loin ». Celui-ci s’exécute (sur le moment il est partant), mais à la fin de la chanson il regrette sa décision. Pour un économiste, c’est l’illustration parfaite de l’incohérence temporelle des plans optimaux (les économistes Kydland et Prescott ont publié un célèbre article sur ce sujet en 1977 et reçu le prix Nobel en 2004 pour ce travail). La métaphore peut permettre aussi d’illustrer le risque moral et comment les pays jouent avec les plans de sauvetage (ce qui explique pourquoi ces plans marchent par tranches avec des conditions spécifiques à chacune des étapes).

A la deuxième place : We Didn’t Start the Fire de Billy Joel, une chanson sortie en 1989 qui parle des événements qui ont marqué la vie du chanteur depuis sa naissance… A chaque fois que je l’entends, je pense à la façon qu’ont les économies développées et les économies en développement de se renvoyer la balle quand il s’agit des effets des politiques économiques nationales. Ainsi, quand la Fed a lancé son programme de quantitative easing, les pays en développement ont dénoncé une guerre des monnaies et ils se sont plaints des conséquences négatives de l’appréciation de leurs monnaies face au dollar, car ils étaient inondés de liquidités en devises. Or, ils “n’avaient pas allumé le feu”…

En tête du classement, je choisis Suspicious Minds d’Elvis Presley dont les paroles sont une métaphore des relations entre les marchés financiers et les banques centrales, où la méfiance est réelle. C’est la chanson idéale pour parler de l’inquiétude soulevée par le resserrement décidé par la Fed avec “On est tombé dans un piège” (“We’re caught in a trap…”) au début de la chanson. “On” peut désigner les investisseurs qui ont fait preuve d’appétit au risque ces dernières années mais qui s’inquiètent aujourd’hui des perspectives de politique monétaire. Ce peut tout aussi bien être la Fed qui, au moment de remonter les taux, s’inquiète de la réaction des marchés.