euro4L’opportunité pour la Banque centrale européenne (BCE) de se lancer dans un vaste programme de rachat d’actifs englobant des obligations d’État fait l’objet d’un vif débat. Le fléchissement des indicateurs économiques ainsi qu’une inflation beaucoup trop basse, ont, en effet, ravivé les anticipations de recours à des mesures supplémentaires. Les déclarations de plusieurs responsables de la BCE sur leur détermination et leur aptitude à agir si les circonstances l’exigent, n’ont fait que renforcer les attentes. La publication du bulletin mensuel de décembre devrait donner lieu à un abaissement notable des prévisions des services de la BCE sur la croissance et l’inflation. Autant de facteurs qui pourraient déclencher l’adoption de mesures dès la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE, le 4 décembre prochain.

L’intensité du débat tient, dans une large mesure, au manque de visibilité sur les mécanismes de transmission et, partant, sur l’impact éventuel du programme d’assouplissement quantitatif basé sur l’acquisition d’obligations d’État (nommé par la suite « QE »). Pour certains, une telle mesure pourrait faire plus de mal que de bien. Les taux d’intérêt sont déjà très bas de sorte que les composantes de la demande finale qui y sont sensibles ont déjà eu largement la possibilité de réagir. Comme cela n’a pas été le cas (l’investissement reste en panne..), on peut en déduire que d’autres facteurs sont à l’œuvre. Dans ces conditions, en quoi la baisse supplémentaire et probablement marginale des rendements obligataires aiderait-elle ? Un autre argument avancé par le camp des « attentistes » est que la baisse des taux pourrait peser sur la rentabilité du secteur financier et faire empirer la situation des ménages (diminution des revenus de l’épargne).

Le camp des « interventionnistes » fait essentiellement valoir l’impact de l’expansion du bilan sur la valeur de l’euro (il existe une corrélation significative entre la dynamique relative du bilan de la Fed et de la BCE, d’une part, et le taux de change EUR/USD, d’autre part). Autre raison : la confiance. L’effet d’une telle mesure pourrait, en effet, s’avérer significatif. Le lancement d’un QE de grande ampleur serait considéré comme un engagement à réussir et, par conséquent, comme une protection contre le risque extrême (tail risk). De quoi réduire les incertitudes et stimuler les dépenses. Pour s’en persuader, il suffit d’observer les volatilités implicites des options sur actions. Analysant sa politique d’assouplissement quantitatif, la Banque d’Angleterre, a ainsi, fait remarquer que, au vu de la répartition des volatilités implicites des options sur l’indice FTSE100, les investisseurs accordaient beaucoup moins d’importance aux risques après le lancement du programme, même si le contexte international pouvait aussi avoir joué un rôle. Interviewé en janvier 2014 à l’institution Brookings, Ben Bernanke a fait cette remarque pleine de malice : si l’assouplissement quantitatif ne marche pas en théorie, il fonctionne bel et bien dans la pratique. Dès lors, peut-être devrions-nous cesser de nous interroger sur les mécanismes de transmission, qui se ramènent à une sorte de boîte noire, et nous interroger plutôt sur les résultats possibles, selon divers scénarios. Trois questions se posent :

1. Quels sont les risques, à la hausse et à la baisse, liés au lancement immédiat d’un QE ? Certes, ce programme aura un effet négatif sur la rentabilité des banques et les revenus financiers des ménages. Politiquement, il sera très difficile à faire accepter en Allemagne. Mais il peut aussi entraîner une augmentation du crédit bancaire et une orientation en faveur des actifs à risque. Parmi les points positifs, on pourrait aussi citer la dépréciation de la monnaie et la restauration de la confiance. En somme, les avantages devraient l’emporter.

2. Quels sont les risques, à la hausse et à la baisse, liés à différer le QE ? L’option du statu quo pourrait signifier qu’une telle politique est potentiellement efficace, mais qu’il vaut mieux éviter de l’utiliser. Cependant, le lancement ultérieur de ce programme à un moment où la situation risque d’être bien pire, pourrait sensiblement en réduire l’efficacité et, partant, nécessiter une expansion encore plus importante du bilan. Ne pas agir maintenant revient à faire le pari que la BCE n’aura pas besoin de racheter des obligations d’État et à prendre l’engagement d’acquérir des volumes encore plus importants en cas de besoin, c’est-à-dire en cas d’optimisme excessif des prévisions actuelles. Conclusion, cette approche ne présente pas de risque réel à la hausse, mais en revanche des risques manifestes à la baisse.

3. Quelles seraient les conséquences d’un « ni maintenant, ni jamais ? » Un refus indiquerait que les effets différés des décisions de politique monétaire antérieures, éventuellement renforcés par la baisse des prix du pétrole, seraient suffisants pour ramener la zone euro sur une trajectoire de croissance plus rapide. Mais cela reviendrait aussi à accepter l’idée qu’il faudra de nombreuses années pour atteindre l’objectif d’inflation.

Si les canaux de transmission de la politique d’assouplissement quantitatif peuvent sembler impénétrables, la répartition des résultats possibles des différentes orientations de politique monétaire est particulièrement éloquente, ce qui devrait faciliter les choix de politique monétaire.