Au caractère a priori contre-intuitif de la dépréciation récente du dollar s’ajoute la question difficile de savoir si elle est salutaire ou, bien au contraire, inquiétante. Comme c’est souvent le cas, la réponse est différente selon qu’on regarde le court ou le moyen terme.

Baisse du dollar : une apparente anomalie

Si entre janvier et début septembre 2017, la baisse du dollar peut s’expliquer par une évolution de l’écart des taux 10 ans en faveur de la zone euro, avec un rendement du bon de trésor américain qui restait toutefois largement supérieur à celui du Bund, c’est le mouvement depuis septembre 2017 qui interpelle : l’élargissement de l’écart de taux à 10 ans de même qu’à 2 ans s’est traduit par une baisse du dollar. Les facteurs explicatifs potentiels de cette anomalie apparente ne manquent pas :

  1.  le marché estime que le cycle de resserrement aux USA est déjà bien avancé et doit encore commencer en zone euro, d’où une anticipation de resserrement de l’écart de taux
  2. le QE de la BCE a donné lieu à des sorties de capitaux mais désormais la croissance robuste peut être un facteur attirant des capitaux étrangers, notamment vers les marchés d’actions
  3. l’excédent de la balance courante de la zone euro et le déficit courant des Etats-Unis créent un déséquilibre « naturel » de la demande de devises en faveur de l’euro qui doit être neutralisé par des flux de capitaux, qui suivent toutefois leur propre logique. A ce propos, la perspective de détérioration du solde courant liée à la politique budgétaire américaine risque de poser problème (problématique des déficits jumeaux)
  4. l’euro reste sous-évalué comparé à sa valeur sur base de la parité du pouvoir d’achat (+/- 1,28)
  5. il l’est encore un peu plus par rapport à sa valeur d’équilibre de long terme qui tient compte de facteurs comme l’inflation, la productivité, les actifs nets à l’étranger, etc.)
  6. le risque de surprise est biaisé en faveur de l’euro. A Davos, le secrétaire du Trésor américain M. Mnuchin avait créé la surprise en se déclarant favorable à un dollar faible. Bien que le président Trump ait corrigé le message après, cela peut nourrir une certaine appréhension chez les opérateurs de marché. En revanche, en zone euro il reste la possibilité que la BCE durcisse (marginalement) le ton au sujet de la fin du QE
  7. le fait que les autorités chinoises aient accepté une appréciation du renminbi contre dollar d’environ 10% peut également influencer le cours de l’euro contre dollar
  8. la conjoncture favorable dans les marchés émergents soutient l’intérêt des investisseurs et leur devises en bénéficient, si bien que le dollar est de plus en plus utilisé comme devise pour financer des stratégies de « carry »
  9. il semble que des investisseurs japonais considèrent une position dans leur propre devise comme un bon moyen pour diversifier le risque qui découle de leurs investissements en instruments risqués (actions mondiales, etc). Peut-être le même raisonnement est appliqué par des investisseurs européens. En conséquence la demande pour le dollar pourrait en souffrir
  10. dans un discours récent à Dublin, Benoît Cœuré de la BCE a expliqué que pour un investisseur japonais, investir en obligations allemandes avec couverture du risque de change était plus intéressant qu’un investissement similaire en obligations américaines et cet écart n’a cessé de grandir depuis juillet 2017
  11. peut-être les investisseurs n’apprécient guère la nette hausse du déficit budgétaire de l’Etat fédéral américain suite à la baisse d’impôts et autres mesures. Combiné avec la réduction de la taille du bilan de la Fed, ceci donne lieu à un appel au marché anormalement élevé dans cette phase du cycle. Dans cette interprétation, la remontée des taux longs et la baisse du dollar sont les variables d’ajustement pour attirer des capitaux étrangers.

EUR/USD : la tendance devrait se poursuivre

La liste des facteurs explicatifs potentiels est longue sans être exhaustive. En outre, rappelons qu’à un moment donné, un taux de change est typiquement déterminé par un nombre limité de facteurs, qui peuvent se succéder dans le temps, ce qui explique la volatilité des taux de change. Dans nos prévisions nous tablons sur une continuité de la tendance des derniers mois, avec, après une petite correction au deuxième trimestre, un euro qui atteindrait 1,30 dollar vers la fin 2019. La croissance robuste en zone euro devrait la rendre particulièrement résiliente face à une telle perspective, d’autant plus que la dynamique serait très progressive.

Les conséquences diffèrent selon le court ou le moyen terme

Quant à l’impact sur l’inflation, beaucoup dépendra du taux de change effectif de l’euro et des sources domestiques d’inflation (les salaires en particulier). Pour les marchés émergents, l’absence d’(une nette) appréciation du dollar serait une bonne nouvelle, eu égard à leur endettement en dollar et, pour les exportateurs, à la relation négative entre le prix des matières premières et le dollar. En revanche, pour les Etats-Unis, le glissement du billet vert est l’équivalent d’un assouplissement monétaire. D’une manière directe (prix à l’importation) et indirecte, ceci pourrait pousser à la hausse l’inflation et forcer la main à la Réserve fédérale. Entre le court terme et le moyen terme, la lecture peut donc être très différente.

Ce texte a été publié dans L’AGEFI Hebdo le 1er mars 2018