Un esprit festif s’est emparé de Wall Street, reflétant l’anticipation des investisseurs d’une baisse des impôts des ménages et des entreprises et, dans une moindre mesure, d’une augmentation de certaines dépenses, en particulier celles liées aux infrastructures. Le marché obligataire en revanche est en berne : les taux des bons du Trésor ont bien grimpé – en partie dans la perspective d’une remontée des taux par la Fed dans une économie américaine qui devrait connaître une relance budgétaire alors qu’elle frôle déjà le plein emploi – mais aussi parce que le monde est devenu plus incertain : la visibilité en termes d’inflation et de politique monétaire est moindre et on aboutit, au final, à une repentification de la courbe des taux.

Il sera intéressant de suivre à quel point le comportement des agents économiques au cours des prochaines semaines traduira une anticipation des impulsions budgétaires à venir. L’indicateur de la confiance des ménages du Conference Board a rebondi en novembre et l’appréciation de l’environnement actuel atteint son plus haut niveau depuis…juillet 2007. Le virage budgétaire pris à Washington DC sera aussi apprécié à Paris, plus concrètement au Château de la Muette où se trouve l’OCDE. Dans ses Perspectives Economiques Mondiales sorties cette semaine, l’organisation estime qu’il est « nécessaire de prendre des initiatives budgétaires expansionnistes et de préserver l’ouverture des échanges pour aider l’économie mondiale à sortir de la croissance molle dans laquelle elle se trouve piégée ». Même son de cloche à Bruxelles où la Commission européenne a récemment invité les pays de la zone euro à adopter « en moyenne » une politique budgétaire modérément expansionniste.

Le risque est bien réel que ces intentions et plaidoyers donnent lieu à un engouement qui, après coup, s’avèrerait démesuré tant la liste des interrogations est longue. Concernant les Etats-Unis, quel sera le montant des mesures budgétaires ? Quel dosage entre baisse d’impôts et hausse de certaines dépenses ? Quel sera l’impact économique induit (« le multiplicateur » comme disent les économistes) selon qu’il s’agit d’impôts ou de dépenses ? Quel timing d’implémentation ? Comment réagiront le dollar et les taux longs pour lesquels une remontée importante freinerait l’économie sans que la Réserve fédérale fasse quoi que ce soit. Concernant d’autres pays, notamment en Europe, de quelle marge de manœuvre budgétaire disposent-ils vraiment ? Et quelle est la volonté politique ?

Au final, les Etats-Unis sont bel et bien entrés dans une nouvelle ère avec un nouveau dosage entre politiques monétaire et budgétaire qui nécessitera un recalibrage de la politique monétaire. Ceci devrait avoir des conséquences internationales, notamment pour les pays émergents via le commerce international, le taux de change (hausse du dollar) et les conditions de financement (la hausse des taux longs US entraînant une hausse des rendements émergents). La sensibilité varie toutefois fortement d’un pays à l’autre. Ainsi la Hongrie, la Malaisie, Taiwan ou encore la Corée du Sud paraissent plus sensibles, contrairement à d’autres pays comme la Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde ou l’Indonésie. L’impact sur la zone euro devrait être plus faible avec un euro qui devrait tendre vers la parité vis-à-vis du dollar en 2017 et une remontée des taux longs, quoique plus limitée qu’aux Etats-Unis en raison d’une conjoncture plus molle et d’une politique monétaire toujours expansionniste. Il n’empêche que même en zone euro les investisseurs se prépareront progressivement à une nouvelle ère, certainement sur le plan monétaire (à un moment donné la BCE réduira ses achats dans le cadre du QE) voire, en fonction des résultats des élections, des politiques budgétaire et structurelle.

 

William De Vijlder

Directeur de la Recherche économique, BNP Paribas

Le 29 novembre 2016