Le marché du travail américain reste très tendu, comme le montrent la faiblesse du taux de chômage, le rythme mensuel des créations d’emplois — particulièrement impressionnant en janvier — et le taux élevé d’emplois non pourvus (i.e. vacance d’emploi). Le taux de recrutement a bien reculé ces derniers mois, mais il se maintient dans le haut de la fourchette historique qui prévalait avant la pandémie de Covid-19 (graphique 1). De plus, le ratio vacance d’emploi-chômage reste très élevé, autre signe d’un marché du travail en tension (graphique 2).
Avec la poursuite du ralentissement de l’économie, ce ratio devrait baisser sous l’effet d’une diminution du taux de vacance d’emploi et d’une augmentation du taux de chômage. Comme le montrent les données historiques, une telle évolution s’accompagne d’un ralentissement de la croissance des salaires. Ce processus est habituellement très progressif, mais une étude réalisée par la Banque de la Réserve fédérale de Kansas City montre qu’à partir d’un certain point, comme ce fut le cas lors des récessions de 2001 et de 2008, « la croissance des salaires a brusquement chuté alors que le ratio vacance d’emploi-chômage avait peu évolué »[1]. En cas de ralentissement suffisant de la croissance des salaires, l’inflation sous-jacente pourrait également se replier (graphique 3).[2]
Néanmoins, le processus pourrait être, cette fois, différent. Tout d’abord, la rétention de main-d’œuvre[3] devrait limiter l’augmentation des licenciements et, par conséquent, le taux de chômage. Ensuite, le taux élevé de vacance d’emploi devrait a priori soutenir la création de nouveaux postes, même si la baisse du taux de recrutement semble indiquer que la transformation des offres d’emplois en embauches effectives n’est pas aussi évidente qu’auparavant. Cette situation tient peut-être à l’inadéquation grandissante des compétences due à un marché du travail tendu, ce qui devrait renforcer la hausse des salaires.
L’autre explication possible est que les entreprises se montrent plus sélectives dans leur processus de recrutement. Ainsi, pourvoir un poste vacant prend plus de temps. Dans un contexte de ralentissement économique, le coût d’opportunité lié à un fonctionnement avec des effectifs en tension diminue. Quoi qu’il en soit, les entreprises pourraient continuer à publier des offres d’emplois, pour être prêtes lorsque la demande redémarrera. Cependant, une plus grande sélectivité en matière d’embauches est de nature à freiner la hausse des salaires. Du fait de ces différentes dynamiques, la diminution du ratio vacance d’emploi-chômage risque de prendre plus de temps qu’auparavant, entraînant une décélération plus lente de la croissance des salaires et, par conséquent, un processus de désinflation plus long.
Comme on vient de le voir, les relations entre vacance d’emploi, recrutement, salaires et inflation sont très complexes. La nature particulière de l’environnement conjoncturel actuel — marché du travail tendu malgré le ralentissement économique, taux de vacance d’emploi exceptionnellement élevé, inflation toujours forte tirée par les chocs de demande et d’offre antérieurs — vient renforcer cette complexité. Par ailleurs, les relations historiques pourraient changer, du moins temporairement. Pour évaluer les perspectives d’inflation, il convient de surveiller de près l’évolution de deux paramètres clés : le ratio vacance d’emploi-chômage et le ratio vacance d’emploi-recrutement. Au vu de leurs niveaux actuels, la désinflation risque de prendre du temps.
[1] Source : Huixin Bi, Chaitri Gulati et José Mustre-del-Río, A Slowdown in Job Vacancies Is Likely to Coincide with Higher Unemployment and Slower Wage Growth, Bulletin économique de la Banque de la Réserve fédérale de Kansas City, 10 août 2022.
[2] Nous avons utilisé, au graphique 3, l’inflation sous-jacente hors logement en raison d’une relation très indirecte entre le coût du logement et le marché du travail.
[3] Il y a rétention de main-d’œuvre lorsque les entreprises décident de ne pas procéder à un ajustement de leurs effectifs malgré un ralentissement de la demande pour leurs biens et services. Voir : La rétention de main-d’œuvre : une source de résilience en période de récession, EcoWeek 22-45, 5 décembre 2022, BNP Paribas.