William De Vijlder

Les récentes réunions et conférences de presse de la BCE et de la Réserve fédérale ont confirmé leur détermination à remonter leurs taux d’intérêt car l’inflation reste trop élevée. Dans le même temps, les marchés continuent d’anticiper un assouplissement monétaire vers la fin de l’année. La divergence est donc totale et rappelle dans une certaine mesure les conférences de presse qui à l’époque étaient présidées par le premier président de la Banque centrale européenne, Wim Duisenberg, lors desquelles il a très souvent déclaré aux journalistes : « Je vous entends, mais je ne vous écoute pas ». Peut-on dire qu’aujourd’hui les marchés entendent les messages des banques centrales mais ne les écoutent pas.

Deux explications possibles à cette divergence. La première serait que les points de vues sur la dynamique de l’économie seraient très différents pour les banques centrales et les marchés financiers. Il y a effectivement quelques différences, mais nous sommes plutôt dans les nuances et je ne crois pas à cette explication pour justifier le « pricing » des marchés.

Une autre explication que je privilégie serait que les marchés ont une approche de la gestion des risques très rationnelle qui tient non seulement compte de toutes les spécificités de leur positionnement mais également de ce que les banques centrales pourront faire dans les prochains mois.

On peut dire que les banques centrales et les marchés financiers jouent le jeu du chat et de la souris : les banques centrales essaient d’influencer le comportement des marchés financiers, parce que ce comportement a une influence sur l’économie réelle, mais les marchés financiers à leur tour (et donc les investisseurs) ont une influence sur ce que décide une banque centrale.

Regardons de plus près la logique, la motivation d’une banque centrale. Premier point, la BCE et la Fed n’ont pas encore atteint leur objectif. L’inflation reste trop élevée donc elles devront continuer à remonter leurs taux officiels. Deuxième point, ces deux banques centrales n’ont aucun intérêt à modifier leur discours, à adopter un ton un peu plus souple, d’une façon trop rapide. Troisième point, ces banques centrales disposent à tout moment de l’option de modifier leur discours ou de modifier leur politique, de faire des annonces « surprises ».  Et la décision d’utiliser cette option dépendra des données économiques.

Regardons maintenant le point de vue des marchés financiers. Les investisseurs savent que l’annonce surprise d’une détente monétaire ou d’une modification de discours des banques centrales aura un impact significatif sur les cours obligataires qui monteraient (baisse des taux longs) et sur les cours boursiers qui monteraient également. Les investisseurs savent aussi que les banques centrales disposent d’une option qu’elles peuvent mettre en jeu à tout moment si elles considèrent que les données économiques ont suffisamment évolué . D’ailleurs, les banques centrales ont déjà dans le passé créé ce genre de surprises. Les investisseurs savent aussi qu’il serait trop tard de se repositionner une fois l’annonce faite et qu’en conséquence il faut réagir suffisamment tôt. Les investisseurs se rendent compte aussi que plus on se rapproche du pic cyclique des taux officiels, plus la probabilité devient élevée que la banque centrale modifie son discours. En conséquence, on arrive à un « pricing » qui parait tout à fait rationnel d’un premier assouplissement, « pricing » motivé par le souci des investisseurs d’être bien positionnés en cas de modification de la politique monétaire.

Force est donc de constater que les banques centrales ont leur propre logique et que les marchés financiers ont la leur. Entre les deux, il y a des divergences. Cela a des conséquences importantes. Première conséquence : le jour où les banques centrales changeront leur discours, indiquant qu’elles ont fait le nécessaire en termes de resserrement monétaire, ce changement devrait être déjà anticipé par les marchés financiers. Deuxième conséquence : les investisseurs sont tétanisés par la crainte de « rater le train » à son départ du quai. Cette perspective d’assouplissement monétaire qui gagnera en ampleur aura une influence sur les marchés financiers et les investisseurs cherchent à se positionner suffisamment tôt pour être à bord du train au moment où il part. Troisième conséquence, il ne faut pas perdre de vue que parfois les données économiques surprennent. On l’a vu dernièrement avec le rapport sur le marché du travail aux États-Unis qui était impressionnant et qui a donné lieu à un repricing du marché, à un ajustement des taux d’intérêt, à une réévaluation du timing du premier assouplissement de la Réserve fédérale. En conséquence cela a donné lieu à beaucoup de volatilité. Ce qui permet, à nous économistes, d’analyser les évolutions en cours et de partager le résultat de nos analyses avec vous.